Depuis mon enfance, je suis dégoûtée par les animaux morts.
A la campagne chez mes grands-parents, le chemin vers la cuisine pour le petit-déjeuner était souvent un parcours répulsif : odeurs écoeurantes me cueillant en bas de l'escalier, suivies de formes fourmillantes ou définitivement figées. Un évier rempli de pibales grouillantes m'a un jour littéralement jetée hors de la pièce en courant, la main devant la bouche. J'essayais de fermer mes yeux, mon nez, mes oreilles. Je gardais mes mains serrées contre mon bol de café au lait fumant, fermant les yeux lorsque je buvais dans ce bol ironiquement transparent. Je jouais "celle de mauvais poil de matin". Plutôt passer pour quelqu'un à qui on ne parle pas, ne pas vraiment décoller mes paupières, garder les oreilles ouatées, la gorge nouée.
Comme les bandes-annonces aux images brutales entrecoupées de fondus au noir, je garde des éclairs précis de mon enfance à la campagne : un lapin écorché alors que je baissai rapidement les yeux vers mes chaussons duveteux, un cochon saigné dont le cri a accompagné mes cauchemars de longues nuits durant, les escargots baveux, les huitres morveuses, les anguilles tournoyant dans le bassin de pierre en attendant la casserole...
A part les poules courant partout, tout ce qui était vivant finissait mort dans les assiettes. Avec une famille nombreuse et de petits revenus, la chasse et la pêche étaient une aubaine pour nourrir les siens. J'avais bien compris. Je me suis tue (moi aussi).
Chaque repas était compliqué, ma gorge se serrait, refusait d'avaler. On se moquait de mes dégoûts. Je faisais "ma chochotte". Evidemment j'étais pâle et fine. Evidemment il fallait me "renforcer avec une bonne viande", de préférence saignante. Un cercle vicieux.
Pendant des années j'ai continué à manger de tout, avec cependant des quantités de plus en plus réduites de viande. Des viandes qui ne ressemblaient pas aux animaux : du jambon blanc plat et carré, des terrines compactes sans morceaux, des brochettes alternants cubes rouges, verts ou bruns...
J'ai fini par voir ma propre hypocrisie et j'ai complètement stoppé l'ingestion d'animaux.
A ce même moment, j'ai décidé de ne surtout pas devenir "celle qui prend la tête à tout le monde", "celle qui gâche le barbecue". Je ne fais pas de prosélytisme. Je ne juge pas les gens. Je ne les fais pas rentrer dans des cases. Je ne mets pas mes amis dans le clan "carnivore" ou "végétarien". Et j'espère qu'ils font de même pour moi.
Je trouve toujours les extrémistes ne parlant que de leurs graines germées super pénibles et les pro-défenseurs de la barbaque saignante tout à fait obscènes, mais tant qu'ils ne me forcent pas à entre dans leur jeu...
A la campagne chez mes grands-parents, le chemin vers la cuisine pour le petit-déjeuner était souvent un parcours répulsif : odeurs écoeurantes me cueillant en bas de l'escalier, suivies de formes fourmillantes ou définitivement figées. Un évier rempli de pibales grouillantes m'a un jour littéralement jetée hors de la pièce en courant, la main devant la bouche. J'essayais de fermer mes yeux, mon nez, mes oreilles. Je gardais mes mains serrées contre mon bol de café au lait fumant, fermant les yeux lorsque je buvais dans ce bol ironiquement transparent. Je jouais "celle de mauvais poil de matin". Plutôt passer pour quelqu'un à qui on ne parle pas, ne pas vraiment décoller mes paupières, garder les oreilles ouatées, la gorge nouée.
Comme les bandes-annonces aux images brutales entrecoupées de fondus au noir, je garde des éclairs précis de mon enfance à la campagne : un lapin écorché alors que je baissai rapidement les yeux vers mes chaussons duveteux, un cochon saigné dont le cri a accompagné mes cauchemars de longues nuits durant, les escargots baveux, les huitres morveuses, les anguilles tournoyant dans le bassin de pierre en attendant la casserole...
A part les poules courant partout, tout ce qui était vivant finissait mort dans les assiettes. Avec une famille nombreuse et de petits revenus, la chasse et la pêche étaient une aubaine pour nourrir les siens. J'avais bien compris. Je me suis tue (moi aussi).
Chaque repas était compliqué, ma gorge se serrait, refusait d'avaler. On se moquait de mes dégoûts. Je faisais "ma chochotte". Evidemment j'étais pâle et fine. Evidemment il fallait me "renforcer avec une bonne viande", de préférence saignante. Un cercle vicieux.
Pendant des années j'ai continué à manger de tout, avec cependant des quantités de plus en plus réduites de viande. Des viandes qui ne ressemblaient pas aux animaux : du jambon blanc plat et carré, des terrines compactes sans morceaux, des brochettes alternants cubes rouges, verts ou bruns...
J'ai fini par voir ma propre hypocrisie et j'ai complètement stoppé l'ingestion d'animaux.
A ce même moment, j'ai décidé de ne surtout pas devenir "celle qui prend la tête à tout le monde", "celle qui gâche le barbecue". Je ne fais pas de prosélytisme. Je ne juge pas les gens. Je ne les fais pas rentrer dans des cases. Je ne mets pas mes amis dans le clan "carnivore" ou "végétarien". Et j'espère qu'ils font de même pour moi.
Je trouve toujours les extrémistes ne parlant que de leurs graines germées super pénibles et les pro-défenseurs de la barbaque saignante tout à fait obscènes, mais tant qu'ils ne me forcent pas à entre dans leur jeu...